Le projet de recherche « Ciels de Paris : imaginaires, savoirs, instruments, pratiques. Socio-histoire d’un objet protéiforme sur le long XX^e siècle » a pour objectif de constituer le ciel urbain en objet de recherche pour les sciences humaines et sociales, à partir d’un travail conduit sur le cas de l’agglomération parisienne. Il est issu du constat d’un écart entre la multiplicité d’appropriations et définitions possibles du ciel urbain et son caractère largement impensé, aussi bien dans la recherche qu’au sein des pouvoirs publics qui, pourtant, administrent le ciel et contribuent à organiser son partage.

Le projet est sous-tendu par l’idée selon laquelle les rapports que les citadins et les pouvoirs publics entretiennent avec l’espace qui les surplombe sont révélateurs des évolutions de la société urbaine. Faire l’histoire du ciel parisien, du travail perpétuel de ses (re)définitions peut ainsi aider à penser les évolutions sociales et culturelles de notre société urbaine. Le recours à l’histoire et la complexité qu’elle permet de déployer est aussi à même d’éclairer les enjeux actuels qui dérivent de rapports multiples et parfois contradictoires que les citadins entretiennent avec leur(s) ciel(s).

La mise en œuvre du projet repose sur l’étude du cas parisien, terrain particulièrement riche, au sein duquel s’agence une multiplicité d’acteurs, de représentations, d’instruments et de pratiques. Pour l’appréhender, la recherche associera des points de vue complémentaires dans une démarche interdisciplinaire inspirée des études sur les sciences et les techniques en société dont les méthodes sont propres à analyser des dynamiques de co-construction. Des premiers “points d’entrée” ont été dégagés à partir des travaux existants qui abordent, plus ou moins explicitement, la problématique des liens entretenus entre habitants, pouvoirs publics, entrepreneurs parisiens et le ciel :

1. le ciel de Paris comme marqueur d’identité de la ville¹ : comment les mises en scène rejouant les choix d’urbanisme structurants du XIX^e siècle dans la peinture, la photographie ou le cinéma ont-elles conféré une dimension iconique au ciel parisien ? Les industries culturelles sont ainsi des acteurs qui contribuent à définir le ciel parisien, mais aussi à le “consommer”. Parallèlement, l’industrie touristique en est aussi un consommateur, ainsi qu’une force pesant dans les débats concernant l’urbanisme parisien.
2. le ciel de la ville est tout à la fois objet de divertissement et objet pour les sciences. Cependant, le ciel appréhendé par les sciences « dures » est lui-même multiple et en prise avec les évolutions sociales et politiques des villes. Par excellence objet de l’astronomie et de la météorologie, le ciel peut cependant se trouver occulté ou même oublié dans l’environnement urbain — l’éclairage en particulier. De plus, les sciences qui le prennent pour objet peuvent aussi tendre à le déconstruire en le fragmentant en couches (atmosphériques) ou en le décrivant au-travers de constitutions chimiques. Enfin il s’agira de tenir compte des pratiques de professionnels, mais aussi d’amateurs de manière à saisir une diversité d’appréhensions de l’objet ciel qui, tout en se prêtant à des analyses scientifiques ou à des usages fonctionnels, conserve des dimensions sensibles.
3. la question de la qualité de l’air fournit également une entrée au projet de recherche. L’ampleur prise par cette problématique au cours du XX^e siècle avec le développement de l’usage du charbon et du fioul, puis celui de la circulation automobile, est à relier au développement d’une science des basses couches de l’atmosphère en environnement urbain, qui s’est construite progressivement notamment grâce aux analyses produites par les scientifiques du Laboratoire municipal de Paris, devenu en 1968 le Laboratoire central de la Préfecture de police de Paris. Cette problématique voit notamment l’implication de scientifiques et techniciens de l’administration publique sur un problème appelant des réglementations administratives, ainsi que la mise en place d’actions de sensibilisation et de communication tournées vers le “grand public”.
4. Le monde aéronautique constitue aussi le ciel comme un “espace aérien” réglementé. Si l’argument de sécurisation des aéronefs et des populations qui préside à l’interdiction du survol de la ville² est connu, il s’agira dans ce projet de retrouver les différents acteurs qui, au fil du temps, ont conduit à construire cette réglementation et leurs motivations : pouvoirs publics et représentants de l’État, mais aussi militaires, associations œuvrant au développement de la locomotion aérienne, etc. L’espace aérien peut aussi devenir source de menaces, notamment pendant les bombardements subits pendant les guerres, mais les matérialisations, anticipations et souvenirs de ce type de menaces ont aussi des effets à plus long terme sur l’organisation de la ville que le projet cherchera à décrire et à analyser.

Le projet réunit une équipe de recherche interdisciplinaire et se déroule sur un calendrier de trois années et demi, ponctué par l’organisation d’un séminaire ouvert, de journées d’étude et d’un colloque final. Il est accueilli au laboratoire HT2S (Histoire des Technosciences en Société) du Conservatoire national des arts et métiers et a obtenu le soutien de la Ville de Paris qui l’a sélectionné comme lauréat de l’appel à projets Émergence(s) 2020.

1. Un projet d’inscription des « toits de Paris » au Patrimoine mondial de l’UNESCO a été déposé en 2014. [↩]
2. Arrêté du 20 janvier 1948 modifié par l’arrêté du 12 septembre 2017. Le cas, emblématique pour le contexte présent, des usages civils des drones s’inscrit dans cette réglementation générale. [↩]